Anjela DUVAL

Anjela DUVAL



Anjela Duval (Marie-Angèle Duval), née au Vieux-Marché (Côtes-du-Nord), le 3 avril 1905, la même année que Bécassine, le personnage de bande dessinée jeunesse créé par la scénariste Jacqueline Rivière et le dessinateur Émile-Joseph-Porphyre Pinchon. Bécassine est une bonne qui a quitté la Bretagne pour venir travailler dans une famille bourgeoise à Paris. Elle est présentée comme sotte, voire arriérée. La plupart des albums témoignent de la vision négative et méprisante que la bourgeoisie parisienne a du peuple breton. Région la plus peuplée et parmi les plus pauvres de France, la Bretagne connait l’exil de ses habitants de la fin du XIXe jusqu’aux années d’après-guerre. 

À la fin du XIXe siècle, de nombreuses familles paysannes bretonnes (près de 200 000 Bretons à la veille de la Première Guerre mondiale), ne parvenant plus à vivre de leur terre, se sont installés à Paris, où ils sont considérés de manière méprisante comme des arriérés et des retardés. Un mot et un statut sont alors inventée : le plouc. Plouaret, Plougar, Plouagat… De nombreux villages et villes ont un nom commençant par « plou » (« paroisse »). Les Parisiens, en 1880, affublent ces « nouveaux venus, rustres et mal éduqués » selon eux, de l’appellation insultante : « ploucs ». Par extension, le terme désignera les paysans et plus largement les habitants des campagnes. Les Bretons sont vus avec condescendance par les Parisiens, mais ils constituent une main d’œuvre bon marché (cochers pour les hommes, servantes pour les femmes, comme le personnage de Bécassine.

La vie et l’œuvre de la poète-paysanne Anjela Duval témoignent des luttes de cette région longtemps oubliée de la République, pour sauvegarder son identité depuis le XIXe siècle, de la capacité à défendre sa culture, sa langue, et à rester fière face à l’adversité, de révolutions agricoles en révoltes populaires, de sacrifices en luttes, à la grève des ouvrières sardinières de Douarnenez en 1921 pour obtenir un salaire décent, en passant par les attentats du Front de libération de la Bretagne dans les années 1960 et 1970, le traumatisme de la gigantesque marée noire à la suite du naufrage de l’Amoco-Cadiz, en 1978, ou les grandes manifestations contre le nucléaire à Plogoff, en 1980. Le peuple breton a été taillé dans les roches escarpées du mépris national et dans les sols pauvres de ses landes, ignorées par la révolution industrielle. À compter de 1882 (l’instruction obligatoire instaurée par la loi de 1882 interdit l’usage des langues et parlers régionaux) et jusqu’à la première moitié du XXe siècle : la consigne de Paris est de limiter l’usage de la langue bretonne. Alors que la moitié de la population est monolingue (breton) et que près de 80 % ne parlent que le breton dans la vie quotidienne. Parler breton est non seulement interdit, mais aussi puni : balayer la cour, fendre du bois, écrire des dizaines de lignes de : « Je ne parlerai plus breton », se voir enlever des points dans les devoirs de français.

Le 1er juillet 1901, Pierre Waldeck-Rousseau, président du Conseil, ministre de l’Intérieur et des Cultes, fait voter la loi sur les associations. Celle-ci stipule que la constitution d’une association est désormais entièrement libre, mais les congrégations religieuses sont exclues du droit commun. En juin 1902, le sénateur Émile Combes succède à Waldeck-Rousseau et prend l’offensive contre les congrégations. Par une circulaire, en date du 9 juillet 1902, il décide de fermer les écoles non autorisées des congrégations. Soit 2.500 établissements en France, 64 dans le département du Finistère. Les 38 écoles de la congrégation des Filles du Saint-Esprit ne l’entendent pas de la sorte.

Le 1er août, un décret intime de les expulser. Les populations se mobilisent pour soutenir les écoles. Les forces de l’ordre procèdent aux expulsions, non sans mal. Dans la foulée, le 29 septembre 1902, Émile Combes publie une circulaire interdisant l’usage du breton pour la prédication et le catéchisme. « Le gouvernement à l’époque a brutalement écrasé la langue bretonne. Cela reste un traumatisme profond, qui reste, témoigne le réalisateur Frédéric Brunnquel (in son poignant documentaire, La grande histoire de la Bretagne, diffusé le 4 mai 2022 sur France 3), et même si la pratique de la langue est restaurée depuis les années 1960 par les militants, elle reste en danger. De l’avoir perdue, c’est une douleur qui reste dans le cœur des gens… La Bretagne n’est pas qu’une histoire de galettes et de festnoz. Son histoire est pleine de rebondissements, de revirements, de luttes, de pauvreté, de fierté retrouvée. On comprend mieux pourquoi la Bretagne est une terre de solidarité et de vivre-ensemble, pourquoi elle rejette plus que d’autres les extrêmes... Je me suis rapproché des Bretons parce que vit en eux le puissant mystère de l’attachement aux racines qui apporte ces repères dans notre monde globalisé. J’admire cet esprit de résistance qui les a toujours caractérisés. » Cette région particulière, longtemps pauvre, méprisée, de révolutions agricoles en révoltes populaires, de sacrifices en luttes, a su préserver sa forte identité.

Anjela Duval est la fille unique d’une famille de paysans. Elle fréquente l’école jusqu’à l’âge de 12 ans, puis, travaille au sein de la ferme familiale, qu’elle reprend à la mort de son père, en 1941, et sa mère en 1951. Sa vie paysanne est une dure vie de travail et de labeur, sans concession. Anjela Duval en tire sa devise : Stourm a ran war bep tachen (Je résiste sur tous les fronts). Dans les années 60, à la nuit tombée, Anjela Duval se met à écrire des poèmes en breton, sur un cahier d’écolier, dans sa petite maison du Vieux-Marché, à Traoñ an Dour, un hameau isolé qui compte trois habitants. Ses poèmes évoquent son environnement : le monde paysan, la terre, les animaux, la nature.

Sa vie de labeur et de mots est dévoilée au grand jour grâce à l’émission de télévision d’André Voisin, « Les conteurs », en 1971. Sa notoriété, en Bretagne ne se démentira jamais et ira en grandissant. Anjela Duval décède à l’hôpital de Lannion, le 7 novembre 1981, à 76 ans. Son œuvre complète en langue bretonne (six livres, dont un seul a paru de son vivant), est rassemblée (plus de 500 poèmes) en un volume : Oberenn glok (œuvre complète, Éditions Mignoned, 2000. Rééd. 2005). Il existe également deux livres en bilingue breton/français : Au fil des saisons, Gant ar mareoù-bloaz, version française de Pierre-Jakez Hélias (Coop Breizh, 1995) et Quatre Poires, version française de Paol Keineg (Éditions Mignoned Anjela, 2005).

Christophe DAUPHIN

(REvue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57